EMERY (Henry). La Vie végétale. Histoire des plantes à l'usage des gens du monde

Paris, Librairie Hachette et Cie, 1878, gr. in-8 (27,5 x 19 cm), demi-chagrin rouge, plats de percaline chagrinée. Au premier plat, noir et or, feuille asymétrique dans une réserve centrale ovoïde, titre sur un bandeau déroulant ses volutes autour de son pied, grappes de fruits, une en haut, une autre en bas et deux symétriques de chaque côté, deux fleurs aux angles supérieurs (fig. 122) et deux graines en train de germer aux angles inférieurs (fig. 254), second plat identique, au do s trois caissons ornés de motifs végétaux historiés (pistil, étamines en haut (fig. 168 (androcée de la mauve sauvage) et 288 (fleur mâle de saule ; le troisième élément, pendant de la fig. 288, n'est pas repris de l'iconographie) ; branche au centre (insp iré d'après plusieurs rameaux, dont celui de la ronce, fig. 66) ; pétales d'une fleur de pois (fig. 157), en bas, tr. dorées (A. Souze, graveur), (4)-IV-807-(1) pp. ¦Édition originale illustrée de 10 planches en chromolithographie et de 439 figures in-t exte, dont 420 gravures sur bois, par H. Catenaci, H. Emery, A. Faguet, etc., gravés par Dufrenoy, Hildibrand, C. Laplante, Montigaud, Sargent, etc. L'auteur (Grenoble, 1828-Dijon, 1899), professeur de botanique à la faculté des sciences de Dijon, après a voir été professeur de géologie à Clermont-Ferrand de 1866 à 1869, est également l'auteur d'un certain nombre de dessins de son livre. A la fin du XIXe siècle, l'attrait pour le monde végétal est au maximum. L'étude scientifique des plantes avait gagné en ampleur durant tout le siècle : inventaire et description des familles de végétaux, découvertes de nouvelles espèces dans les contrées récemment explorées, recherche de "plantes utiles" partout sur la planète, propriétés médicinales, alimentaires, industr ielles, ornementales, etc. L'agriculture est l'une des premières activités humaines, la biochimie et la biologie végétales sont en pleine expansion, tandis que le jardinage devient une activité de loisirs importante, notamment dans les villes, où l'art des jardins d'agrément et des parcs atteint son apogée. Toutes ces activités se retrouvent dans la production des livres à plat historié, qui suit toujours les grands courants culturels et sociaux et reflète les centres d'intérêt historique de leur époque. A tel point que l'étude des thèmes développés dans les livres à plat historié permet de reconstituer en grande partie l'état des connaissances et de la civilisation qui les produit. La thématique végétale a une importance dans un autre domaine, artistique et esthétique. L'intérêt pour la nature se retrouve chez les artistes et influence les grands courants esthétiques qui conduiront à l'Art nouveau. C'est cet immense attrait pour la botanique, les formes végétales et l'organisation de la Nature que l'on d écouvre dans ce livre, une véritable somme accessible pour le grand public. Le livre d'Émery est l'un des premiers et l'un des plus importants dans le domaine des plats historiés. Il paraît en même temps que celui d'Eugène Muller sur La Forêt (Ducrocq, 1878, PH 19/373). En 1880, le mouvement des publications s'accélère : Le Jardin de Mademoiselle Jeanne par Émile Desbeaux (Ducrocq, 1880), Histoire des jardins chez tous les peuples par Arthur Mangin (Mame, 1883, PH 13/246), puis ce sont Les Forêts de France de Fernand Depelchin (Mame, 1886), Histoire des jardins anciens et modernes par Arthur Mangin (Mame, 1887, PH 2/41), Fleur des Alpes par Labesse et Pierret (Ducrocq, 1891, PH 30/571), Nos fleurs, plantes utiles et nuisibles par Leclerc du Sa blon (A. Colin, 1898). A la fin de la décennie paraît une autre somme, Le Monde végétal par Gustave Fraipont (Flammarion, 1899, PH 24/459) et, en 1901, le livre d'Henri Coupin, A travers l'histoire naturelle, bêtes curieuses et plantes étranges (Mame, PH 26/491). Ces deux derniers titres enregistrent l'évolution esthétique du motif végétal : le sujet scientifique est traité, sur le plat historié, dans un style complètement différent, où l'influence de l'Art nouveau est totalement assumée. Il est intér essant de noter que le plat du livre d'Émery conjugue la rigueur néo-classique du style académique, à base de motifs architecturaux, de symétrie et d'une construction rectilinéaire, avec l'irrégularité de l'élément botanique central, particulièrement bien mis en évidence, alors qu'on se serait attendu, de la part du graveur, à davantage de symétrie, y compris dans le cartouche central. La composition de Souze semble anticiper l'évolution esthétique. Par son aspect hybride, le génie de Souze ressort avec fo rce, comme il le fera deux ans plus tard, dans un autre chef-d'oeuvre réalisé pour Hachette dans la même série, la couverture d'Histoire de la gravure de Georges Duplessis (PH 31/587). "Grâce aux ouvrages de vulgarisation dont le but est de mettre la sc ience à la portée de toutes les intelligences, il est facile aujourd'hui de s'instruire", dit la Revue scientifique rendant compte du livre en déc. 1877, soulignant son sous-titre qui indique qu'il a été écrit "à l'usage des gens du monde" qui ont, comme les autres, besoin de suivre le mouvement scientifique. "La botanique (...) a été par trop négligée jusqu'ici car non-seulement cette science est très-intéressante, mais elle est très-utile. N'est-elle pas en effet la base de l'agriculture et de l'horticu lture ?" "D'un autre côté, qu'y a-t-il de plus agréable que l'étude des plantes, l'étude des fleurs ? Qui donc ne s'intéresserait pas à ces êtres dont les uns entrent pour une si large part dans notre alimentation, et dont les autres nous enivrent de leur parfum et étalent sous nos yeux ravis leurs brillantes parures ? Les personnes qui se sont jusqu'ici montrées indifférentes à leur égard ne se doutent pas de tout ce qu'il y a de curieux, d'admirable dans l'organisation des végétaux et dans leurs moeurs. La Vie végétale le leur apprendra." La première partie étudie la structure, l'organisation et la vie des plantes. La deuxième, "Moeurs et physionomies végétales" distingue les trois flores arctique, tempérée et tropicale. La troisième s'intéresse à "L'H omme et la géographie des plantes", avec la question de l'acclimatation ou de la naturalisation des espèces. "Quant aux dix chromolithographies, elles représentent des groupes de fleurs : fleurs des champs, fleurs populaires, groupes de roses, de tulipes, d'orchidées exotiques, etc." L'auteur termine sur des "Curiosités végétales", "quelques observations relatives à la longévité des végétaux, aux plantes irritables et carnivores", sujet alors en plein développement et en pleine actualité, avec les décou vertes de Darwin et avec le lancement, en 1874, du canular de "l'arbre anthropophage de Madagascar" qui aura un retentissement mondial et sera à l'origine d'une riche thématique de l'imaginaire, celui des végétaux hostiles, des "herbes méchantes" et des "p lantes anthropophages", en science-fiction, fantastique, bande dessinée et cinéma. Bel exemplaire.